Il y a 567 parutions à l’occasion de cette rentrée littéraire. Une rentrée un peu moins riche donc que la précédente (581). Les domaines français (381 contre 394) et étrangers se répartissent la baisse de la production. Les premiers romans ont, en revanche, le vent en poupe avec 94 romans contre 81 l’an passé. Des noms vous sont familiers, voire trop familiers. D’autres méritent que vous feuilletiez ou achetiez et lisiez. Vous ne pourrez tout lire, alors retenez quelques titres et surtout ce que les pages renferment. Voici quelques propositions. Ce sont les coups de cœur de notre critique littéraire, Norbert Czarny. Il les attribue début septembre pour animer cette présentation qu’il donne et redonne chaque année chez nombre de nos clients.

Les coups de cœur

Ça raconte Sarah (Pauline Delabroy Allard, Éditions de Minuit). Ce roman relate la naissance et la mort d’une passion amoureuse. Au ? l des saisons, la narratrice dit cette Sarah qui a chamboulé son existence, qui détruit, et réveille, par son énergie, son rayonnement, la petite vie de celle qui s’était habituée à ne plus désirer. Un roman qui raconte la beauté, l’amour et la souffrance, et qui fait écho aux grandes histoires que nous avons aimé lire.

Un monde à portée de main (Maylis de Kerangal, Verticales). Paula, Jonas et Kate sont des jeunes peintres en décor, créateurs d’illusions puisqu’ils peignent des trompe-l’œil. On les découvre au début de leur vie professionnelle, après qu’on les a suivis à l’école d’art de Bruxelles où ils apprennent les règles et les secrets de ce singulier métier. L’auteure dresse le portrait d’une jeunesse forcée au nomadisme, à la précarité, mais aussi passionnée, soucieuse d’excellence. Un roman sur les mains, comme Réparer les vivants l’était, à sa façon, ou Naissance d’un pont.

Désintégration (Emmanuelle Richard, L’Olivier). La narratrice fait ses “débuts dans la vie”. Elle tente de concilier les petits boulots et les études, l’écriture et la vie sociale. En somme, elle apprend à vivre. Mais pauvre, issue d’un milieu qui n’a jamais pu l’aider, elle doit affronter un monde qui n’est pas le sien et vivre la honte. Elle rencontre l’insouciance, voire le mépris et éprouve la colère, avant une forme de sérénité, liée à la reconnaissance. Le roman raconte dans une langue à la fois travaillée et directe ce combat incessant contre les autres, et elle-même.

La chance de leur vie (Agnès Desarthe, L’Olivier). Lester et ses parents Sylvie et Hector, partent pour un an sur un campus américain. Le comportement de l’adolescent est curieux. Celui de son père l’est moins, mais ses in? délités soudaines troublent assez Sylvie, avec qui nous percevons et ressentons ce qu’il en est vraiment de ce séjour aux apparences idylliques. Le portrait d’une famille d’aujourd’hui, des relations qu’elle entretient à l’intérieur et avec les autres, dans un pays soudain gagné par un souci de vérité plus qu’inquiétant : les Etats-Unis de Trump. Un roman tout en finesse, en nuances.

L’hiver du mécontentement (Thomas B. Reverdy, Flammarion). En cet hiver 78, de grandes grèves paralysent l’Angleterre exsangue. Candice est une jeune livreuse et elle traverse la ville à toute vitesse pour gagner sa vie. John Jones est employé, menacé de renvoi. Candice a une passion : le théâtre. Et en cet hiver du mécontentement (la formule figure dans Richard III) elle travaille un rôle dans la pièce de Shakespeare. Une femme distinguée suit aussi le cours. Elle se nomme Margaret Thatcher et à l’instar du roi shakespearien, elle attend son heure. Un roman de la petite et de la grande Histoire, sur fond de rock punk.

Les nuits d’Ava (Thierry Froger, Actes Sud). Trois fils se mêlent dans ce roman : le portrait en action d’Ava Gardner, l’actrice mythique menant la dolce vita à Madrid, l’histoire de la création d’un tableau légendaire de Courbet, et l’histoire du narrateur, antihéros des années soixante-dix qui enquête sur un pellicule montrant l’actrice dans des poses inspirées par des toiles du Titien, de Manet et de Courbet. Un roman séduisant sur les images et leurs effets.

Série noire (Bertrand Schefer, POL). La même année, un film fait scandale à Cannes et un rapt d’enfant trouble les esprits. L’aventura est sifflé : la disparition de toute narration marque l’entrée dans une modernité que le public accepte mal. L’enlèvement du fils Peugeot est une disparition dont les auteurs tardent à être identifiés. L’enquête romanesque que nous lisons donne les clés à travers une écriture sinueuse, faite de détours apparents, toujours fascinants car énigmatiques.

Cela mérite le détour

Le monarque des ombres (Javier Cercas, Actes Sud). Auteur des Soldats de Salamine, et d’Anatomie d’un instant, le romancier espagnol enquête ici sur un grand oncle que sa mère adorait. Manuel Mena est mort pendant la guerre civile espagnole, du côté franquiste. Loin des convictions de l’auteur qui pourtant veut le comprendre. Ce “monarques des ombres” qui désigne Achille aux Enfers, était-il semblable au héros de l’Iliade qui préfère une belle mort jeune, ou à celui de l’Odyssée qui dit à Ulysse son regret de ne pas avoir vécu médiocre et anonyme, mais heureux, longtemps ? Une réflexion très riche sur l’héritage douloureux de la guerre civile.

Le guetteur (Christophe Boltanski, Stock). Le narrateur vide l’appartement de sa mère décédée et découvre des ébauches de romans noirs tournant autour de la figure du guetteur. Il prend aussi conscience que cette femme recluse, ayant coupé tout lien avec son entourage dans les dernières années, au point de sombrer dans une forme de paranoïa, a été dans les années soixante, une militante engagée dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Eclairer le passé, c’est comprendre le présent. Peut-être. Un roman intrigant, dont l’humour grince souvent.

François, portrait d’un absent (Michaël Ferrier, Gallimard). Depuis le lycée, François était le meilleur ami de l’auteur narrateur. Il est mort de façon accidentelle. Ce récit est son tombeau, au sens où on l’entend en littérature. Il lui rend hommage, il rappelle ce que les deux amis avaient en commun, le goût du cinéma, des livres, de l’alcool ou de l’herbe, plaisirs choisis et non des addictions, et des étoiles. Mais surtout le don de l’amitié.

Nous n’avons pas encore lu mais nous aimerions lire

Elsa mon amour (Simonetta Gregio, Flammarion). La vallée des dix mille fumées (Patrice Pluyette, Le Seuil). Capitaine (Adrien Bosc, Stock). Deux mètres dix (Jean Hatzfeld, Gallimard). Oublier Clémence (Michèle Audin, L’arbalète Gallimard).



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