À quoi servent les banques centrales ?

Au moment de l’indépendance des Etats Unis, les pères fondateurs sont tous d’accord sur la nécessité d’adopter la même monnaie, le dollar. Mais l’établissement d’une banque fédérale pour émettre la nouvelle monnaie fait l’objet de très vifs débats entre Alexander Hamilton, le 1er secrétaire au Trésor des Etats Unis et Thomas Jefferson. Finalement, il faudra attendre 1913 pour qu’une banque centrale, la Réserve Fédérale des Etats Unis soit établie. Le dollar a donc été une monnaie sans banque centrale pendant plus de 130 ans et cela s’est traduit par une grande instabilité monétaire et financière tout au long du 19è siècle. Pourquoi ?

En plus d’émettre la monnaie, les banques centrales assurent deux fonctions essentielles pour la stabilité économique : elles fixent le taux d’intérêt directeur et supervisent le fonctionnement du marché financier. En fixant le taux directeur, les banques centrales influencent les conditions macro-économiques du pays : quand le taux baisse, les entreprises et les ménages empruntent davantage ce qui contribue à une hausse de l’investissement et de la consommation. Au contraire une hausse du taux directeur comprimera la demande et aura pour effet de faire ralentir l’inflation. Autrement dit, par leur action sur le taux directeur, les banques centrales influencent les prix et l’activité économique.
Les banques centrales des pays développés sont indépendantes du gouvernement. Cette indépendance garantit la crédibilité de la politique monétaire et la stabilité des prix. En effet, les gouvernements auraient tendance à prendre des décisions influencés par les enjeux de court terme, en particulier par le cycle électoral ! Aussi, cette indépendance empêche que les politiciens ne soient tentés d’imprimer de la monnaie pour faire baisser le chômage juste avant une élection. Cela aurait pour effet de déstabiliser à long terme la valeur de la monnaie. En effet, une émission monétaire excessive entraîne de l’inflation qui est néfaste pour le climat des affaires et l’économie en général. Cette idée est tellement importante dans nos économies que les économistes Kydland et Prescott ont obtenu le prix Nobel d’économie en 2004 pour l’avoir théorisée ! Et en effet, on observe bien un lien  fort entre le degré d’indépendance d’une banque centrale et le niveau d’inflation dans son économie.
Une autre fonction essentielle des banques centrales pour garantir la stabilité monétaire est leur rôle de prêteur en dernier ressort. En cas de crise grave qui entraîne que les banques ne se prêtent plus entre elles, le système se gèle et l’économie s’effondre. Une année de mauvaises récoltes (dans des temps plus anciens), la crainte d’une guerre, la faillite d’entreprises considérées solides etc. sont des événements qui peuvent entraîner une telle défiance dans le système que l’économie se met à l’arrêt : plus personne ne se prête d’argent, les transactions sont bloquées. La banque centrale est alors la seule à avoir accès à la liquidité infinie et donc peut rétablir les transactions. C’est exactement ce qui s’est passé en septembre 2008 avec la faillite de la banque d’investissement américaine Lehman Brother. La Réserve Fédérale a alors multiplié son bilan par cinq !
En France, la Banque Générale, première banque autorisée à émettre du papier monnaie contre de l’or est établie en 1716 mais elle fait vite faillite. Il faut attendre 1800 pour que s’établisse la Banque de France qui vise à être un organisme régulateur et à soutenir la nouvelle monnaie, le Franc Germinal. Elle obtient le monopôle d’émission des billets en 1803. C’est alors une banque privée. Elle est nationalisée en 1946 (sous le Général de Gaulle) et gagne une indépendance politique en 1994.
Mais en 1999, la Banque de France fait place à la Banque Centrale Européenne qui devient alors la banque centrale de la zone euro. Elle est installée à Francfort et son mandat est très inspiré par celui de la Bundesbank : en particulier elle poursuit comme seul objectif la stabilité des prix (contrairement à la réserve Fédérale dont la mission intègre le taux d’activité et d’emploi). Les banques centrales nationales demeurent néanmoins dans la zone euro pour exercer une mission de surveillance des marchés financiers, en procédant régulièrement à l’évaluation des risques du système.
Aujourd’hui la politique monétaire est entièrement opérée par la BCE. Aussi, chaque membre de la zone a perdu la capacité d’assurer une politique monétaire autonome : quand l’activité économique ralentit en Italie, celle-ci n’a plus la possibilité d’ajuter son taux directeur pour soutenir la consommation et l’investissement. Un seul taux prévaut pour toute la zone. Il en va de même aux Etats Unis par exemple, où le taux directeur de la FED est identique pour toutes les banques du Kansas, du Minessota ou de la Californie etc. La différence avec les Etats Unis est que les pays membres de la zone euro ne partagent pas beaucoup d’autres compétences que les compétences monétaires. Chaque pays a son propre budget, sa propre assurance chômage et aucun transfert permanent n’existe encore entre les états membres. Cette absence de transfert est considérée par de nombreux économistes comme un facteur de vulnérabilité de la zone euro.
Depuis 2010, la  zone euro a connu une crise sans précédent qui s’est manifestée par une grande défiance des investisseurs sur certains pays membres (les pays dits « périphériques »). Mario Draghi, le gouverneur de la BCE a alors joué un rôle crucial pour sauver la zone euro quand il a affirmé : « Within our mandate, the ECB is ready to do whatever it takes to preserve the euro. And believe me, it will be enough. » Avec cette simple phrase prononcée le 26 juillet 2012, Mario Draghi sauvait l’euro ! C’est dire la puissance des banques centrales !
Par Anne-Laure Delatte. Économiste, directrice adjointe du CEPII et chargée de recherche au CNRS, Anne-Laure siège également au Conseil d’Analyse Économique et est membre du comité scientifique de la Fondation Banque de France.
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