Si Versailles m’était conté ?

À l’origine, n’étaient qu’un modeste moulin à vent et une maison de meunier construits sur une hauteur entourée de marécages. C’est en ce lieu inhospitalier mais giboyeux et à l’écart de la très remuante capitale que Louis XIII fait construire en 1623 un modeste pavillon de chasse, surnommé alors le “chétif château” et plus tard “le château de cartes”. L’histoire aurait pu en rester là et ne faire de Versailles que l’un des nombreux relais de chasse qui parsemaient l’Ile de France si Louis XIV, après des séjours épisodiques dans sa jeunesse, ne s’y était intéressé à son tour à partir de 1661, date du décès du cardinal Mazarin, laissant le jeune roi gouverner enfin seul. Après des transformations modestes, le roi lance à partir de 1664 plusieurs grandes campagnes de construction et d’aménagement des jardins, accélérées par la fête des “Plaisirs de l’Ile enchantée”, où toute la Cour assiste à des spectacles et des divertissements célébrant la grandeur du jeune “roi soleil”. Né de la chasse, Versailles est devenu un décor allégorique qui sera sans cesse remodelé pour servir de cadre grandiose aux ambitions d’un roi.

L’architecte Le Vau déploie alors un vaste palais et Le Nôtre dessine des jardins spectaculaires, avec de titanesques terrassements et le creusement d’un Grand canal de 1,8 km de long, tandis que la gigantesque Machine de Marly alimente en eau les fontaines et que l’on va déraciner dans les forêts voisines des arbres pour donner forme aux bosquets, qui seront bientôt peuplés d ‘une foule de statues. En 1684, est inaugurée la Galerie des glaces, conçue par Jules Hardouin-Mansart, avec ses 357 miroirs, qui relie les grands appartements du roi à ceux de la reine et qui devient le centre du palais, l’écrin des fêtes, des bals et des grandes réceptions diplomatiques, où les ambassadeurs sont reçus sous une voûte où Charles Le Brun a peint les exploits guerriers du roi. En 1682, Versailles devient officiellement la résidence du roi et le centre politique de la France, accueillant ministres et courtisans qui font construire des hôtels autour du château ou se serrent dans des appartements minuscules, vivant au rythme de la célèbre “étiquette” qui régit la journée du roi et la vie du palais avec la régularité d’une horloge. Le château provoque ainsi la naissance d’une nouvelle ville, autour des écuries ou du Grand Commun et dont l’extension se poursuit également dans le parc, autour de l’ancien hameau de Trianon.

La mort de Louis XIV en 1715 n’éteint pas le soleil versaillais et ce ne sera que la Révolution française qui, le 5 octobre 1789, chassera les rois de Versailles, au terme d’un siècle qui modifie le château tout en conservant la structure d’ensemble : après la chapelle édifiée par le vieux roi (1710), Louis XV entamera une campagne de reconstruction, inachevée, et édifiera un opéra pour le mariage du futur Louis XVI et de Marie-Antoinette, en 1770. C’est à cette dernière que l’on doit les apports les plus marquants du règne de Louis XVI : la transformation du domaine de Trianon et le hameau de la reine, en 1783.

Après la Révolution française, Versailles connaît des hauts et des bas, mais il est sauvé par Louis-Philippe, qui, en 1837, le réaménage en un musée d’histoire dédié “à toutes les gloires de la France” que Victor Hugo salue ainsi : “en un mot, c’est avoir donné à ce livre magnifique qu’on appelle l’histoire de France cette magnifique reliure qu’on appelle Versailles”.

“Miroir des princes”, Versailles est devenu avec le temps le miroir de notre histoire, et, plus encore, celui de notre société, hier comme aujourd’hui. Manifeste de l’idéologie monarchiste de l’absolutisme, incarnation monumentale, aux yeux du monde, de l’art français, il et non seulement un lieu de mémoire à nul autre pareil, tant l’histoire de France s’y est jouée, jusqu’à l’époque contemporaine, mais aussi une oeuvre d’art total, qui n’a jamais cessé de fasciner. Sacha Guitry l’avait bien compris, lui qui à la fi n de son fi lm mythique, Si Versailles m’était conté (1954), fait descendre l’escalier “des 100 marches” par un cortège de tous les acteurs de l’histoire de France. Car après la Révolution, Versailles continue à être le théâtre d’événements aussi importants que la Commune ou la signature du traité qui en 1919 rend l’Alsace-Lorraine à la France, sans compter l’aile du midi qui jusqu’en 2005 accueille les sessions du Congrès du Parlement, réunissant exceptionnellement Assemblée nationale et Sénat. Symbole de l’Ancien Régime honni par les Révolutionnaires, le palais a néanmoins continué à exercer son pouvoir sur les générations successives.

Décor des fêtes royales, des pièces de Molière et Racine, Versailles reste sans doute aujourd’hui l’un des plus grands réservoirs à rêves et à fantasmes, inspirant d’innombrables romans et films qui en entretiennent la légende et renouvellent l’attrait, comme en a témoigné en 2006 le succès du film de Sofia Coppola, Marie-Antoinette, contribuant au renouvellement du public. En 10 ans, la fréquentation du château est passée de 2,9 à 4 millions de visiteurs annuels, créant des embouteillages pires que ceux du temps de Louis XIV et posant de sérieux problèmes de conservation.



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