Je garde tout, c’est grave ?

Doudous, cahiers d’enfance, chaussures démodées, moulins à café manuel, magnétoscope, walkman, dictionnaires des années 90 voire 80… Pourquoi certains individus ont-ils tendance à “tout” garder autrement dit pourquoi sont-ils amenés de façon récurrente à garder des objets encore utilisables alors qu’ils n’en ont plus l’utilité et qui ne valent pas, à leurs yeux, la peine d’être vendus ?

Avant de répondre à cette question, nous allons tout d’abord distinguer la tendance à “tout” garder de concepts proches mais néanmoins différents. La tendance à “tout” garder se distingue de la collection. Même si le comportement de celui qui a tendance à “tout” garder et celui du collectionneur partagent des points communs, notamment celui d’être guidé par la peur du manque, les deux comportements se distinguent notamment par le type d’objets gardés. Le collectionneur rassemble en effet des objets qui appartiennent à une même catégorie (une collection de boîtes d’allumettes par exemple ou de timbres) alors que la tendance à “tout” garder concerne tous types d’objets.

La tendance à “tout” garder se distingue également du syndrome de Diogène (ou syllogomanie), comportement pathologique qui consiste à vraiment tout garder, autrement dit à garder des épluchures de pomme de terre par exemple ou encore un ticket de caisse datant de 10 ans. Ce qui caractérise la pathologie, c’est lorsque les conditions d’hygiène dues à l’accumulation d’objets menacent la santé de l’individu et le conduit bien souvent à vivre de façon recluse (perte du lien social car honte de vivre dans une telle accumulation voire insalubrité).

Plusieurs raisons matérielles et psychologiques peuvent expliquer la tendance à “tout” garder :

  1.  Des raisons matérielles qui peuvent être liées a) à l’espace de stockage disponible qui encourage ce comportement (c’est l’exemple des individus qui transfèrent les objets dont ils n’ont plus l’utilité dans leur maison secondaire) ; b) au fait de ne pas connaître de solutions pour se débarrasser des objets ; c) aux associations caritatives qui refusent certains objets, les individus se trouvant au dépourvu et ne sachant pas qu’en faire.
  2. Des raisons psychologiques qui tiennent de la difficulté à se séparer de “quelque chose”. Les théories sur les relations aux objets permettent de comprendre cette difficulté. Parmi ces théories, celle sur la possession psychologique (possession qui se distingue parfois de la notion de propriété) enseigne que les objets permettent aux individus de satisfaire trois besoins psychologiques : a) contrôler l’environnement et donc autrui ; b) se définir une identité que ce soit via ce que les objets représentent pour leur possesseur mais encore via le regard qu’autrui porte sur ses possessions (c’est l’objet signe de Baudrillard) et c) se construire un havre de paix, un espace dans lequel l’individu se sent en sécurité, chez lui.

Les raisons récurrentes invoquées pour expliquer le comportement qui consiste à “tout” garder sont :

  1. La peur d’en avoir besoin un jour (“ça peut toujours servir”). L’objet rassure et permet de ne pas manquer. L’objet permet donc de nourrir un besoin de contrôler le futur. Le trait de personnalité qui détermine cette dimension est l’anxiété, peur sans objet. La crainte d’avoir besoin des objets s’explique néanmoins parfois par le vécu de certains individus qui ont été marqués par des évènements traumatisants, une guerre, une famine, un événement politique, ce qui les conduit à “tout” garder “au cas où”.
  2. Le souvenir (“ça me rappelle tellement de choses”). Les objets cristallisent des moments, des personnes, des rencontres… Les individus déposent donc dans l’objet une part d’eux mêmes, de leur histoire. S’en séparer reviendrait à perdre une partie d’eux mêmes, de leur identité voire de briser un lien affectif si l’objet représente autrui (un cadeau par exemple). Le trait de personnalité sous jacent à cette dimension est la nostalgie ou tendance à revivre un passé idéalisé.
  3. L’argent que les objets représentent (“s’en débarrasser, ce serait jeter de l’argent par les fenêtres”). Quelle que soit la valeur personnelle accordée, certains individus gardent des objets pour leur valeur économique, que ce soit leur prix d’acquisition ou le prix lié à la spéculation, autrement dit au prix qu’ils croient pouvoir en retirer un jour. Rétention d’objets et d’argent (ou encore radinerie) se recoupent souvent puisque les deux déclenchent le mécanisme psychologique de la rétention.
  4. Autrui, lorsque les individus gardent des objets dans l’espoir de trouver quelqu’un qui en aura l’utilité (“je vais bien trouver quelqu’un qui les voudra un jour”). Le trait de personnalité sous jacent de cette dimension est l’altruisme autrement dit une disposition bienveillante à l’égard des autres.

La tendance à “tout” garder est un déterminant personnel : certaines personnes gardent “tout” alors que d’autres s’en débarrassent. Les travaux du psychanalyste Balint confirment cette dichotomie. Pour la comprendre, cet auteur met en perspective deux types de personnalité au regard de leur lien avec la sécurité primaire (la relation à la mère) : l’ocnophile et le philobate. Si le premier s’accroche aux possessions et se sent en sécurité uniquement en contact avec les objets, le second est davantage “securisé” et pense qu’il trouvera toujours une solution pour s’en sortir. Toutefois, les individus ne peuvent pas être systématiquement identifiés de façon claire et certaine à l’une ou l’autre des personnalités.

L’étude d’un tel comportement est intéressante aujourd’hui dans la mesure où les générations de la société de consommation, celles qui ont fondé leur identité sur l’acquisition et la possession d’objets, sont confrontées au problème de savoir qu’en faire. La gestion des objets d’occasion ou de seconde main pose en effet, si ce n’est problème, du moins questions : comment gérer ces objets afin qu’ils ne viennent pas grossir le volume des déchets ? Que faire de tous les objets accumulés au cours d’une vie ? Des organisations ont vu le jour ces dernières années afin d’offrir des solutions aux problèmes que génère la tendance de certains individus à “tout” garder : les home organiser, les brocantes ou vides greniers, sites de ventes (e-bay par exemple), sites de don (recupe.net par exemple), la vente d’espaces de stockage (Shurgard par exemple).



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