Il existe plusieurs façons d’appréhender l’œuvre d’Allen Stewart Kenigsberg, né en 1935 à Brooklyn. Certains s’appuient sur l’évolution de ses multiples talents : d’abord l’écriture, il est “gagman” pour des comiques dans les 50’s, alors qu’il est encore à l’école, puis acteur de “stand-up” au début des 60’s et enfin il aborde la mise en scène / réalisation vers la fin des 60’s comme s’il avait trouvé, après une dizaine d’années d’apprentissages, la quintessence de son art. D’autres préféreront mépriser ses premières expérimentations au cinéma, comme Lily la tigresse (1966) ou encore Bananas (1971) jugées trop loufoques ou trop clownesques, pour préférer des films plus réfléchis ou ambitieux comme Manhattan (1979) ou encore Hannah et ses sœurs (1986) considérés, par certains observateurs, comme ses chef-d’œuvres.

De fait, c’est une personnalité un peu alambiquée qui se présente à nous. Son apparent recours permanent à l’autobiographie nous donne l’impression de le connaître sous toutes les coutures, mais ses multiples talents, sont autant d’outils qui lui permettent de brouiller les pistes pour finir par nous laisser perplexes ; voir en ce sens son film Zelig (1983) qui narre les aventures d’un être imaginaire… si loin et si proche de lui. Il est l’un des réalisateurs les plus prolifiques (plus de 60 films écrits et/ou réalisés et/ou joués, voir les trois à la fois). Sa patte se révèle notamment par la mise en image de trois thématiques fortes et récurrentes : le couple, son héritage personnel (jazz, judaïsme, psychanalyse…) et la représentation du monde du spectacle. Annie Hall (1977) et Maris et femmes (1992) sont deux films charnières témoins du passage entre les époques alleninennes : de l’époque de l’apprentissage à la maturité pour le premier et de la maturité à la répétition pour le second ; Match Point (2005) marquant une rupture dans cette dernière époque.

À la fin de l’un de ses derniers films, Hollywood ending (2002), Woody Allen, qui, dans cette allégorie du cinéma américain, joue le rôle d’un réalisateur d’âge mûr ayant des problèmes à faire ses films dans l’industrie hollywoodienne, fait dire à son personnage : “Ici, aux Etats-Unis, je suis un minable, mais là-bas, en France, un génie ! Dieu merci, les Français existent !” Voilà en quelques mots, dans une œuvre de fiction (un peu) autobiographique, la façon dont cet artiste new-yorkais se présente : un minable, un génie, un étranger, un incompris, bref, un Américain qui n’est pas prophète en son pays, un “apatride universel”.



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