L’espace joue un rôle fondamental dans l’évolution politique des différents régimes politiques établis depuis plus de 3 500 ans sur une zone rayonnant autour des bassins des fleuves Jaune et Bleu. En effet, la Chine n’a pas toujours été “immobile”, et l’unification impériale antique ne doit pas faire oublier qu’elle a été, au cours de son histoire, plus longtemps divisée qu’unifiée. De même, la Chine n’a pas toujours été l’”Empire du milieu”, comme le laisse croire son appellation chinoise ; elle n’a bien souvent qu’été au mieux le milieu d’empires, qu’ils fussent tabghatch, khitan, mongol ou mandchou…

Dans la Chine ancienne, le palais du souverain est l’emplacement symbolique qui figure la structure du cadre politique antique. Le microcosme du palais, où prennent position les représentants de l’aristocratie et des peuples étrangers réunis autour du souverain en fonction des orients, est une représentation symbolique de l’espace macrocosmique. La place des peuples est réglée en fonction de leurs coutumes et de la valeur qu’on leur accorde, et le centre est entouré de périphéries de moins en moins civilisées à mesure que l’on s’éloigne. La mise en ordre de l’empire chinois s’enclenche par le processus de civilisation des terres et des populations périphériques. Le souverain doit borner les limites terrestres de son domaine en civilisant ce qui peut l’être et en excluant ce qui ne peut l’être.

Face à l’éclatement géopolitique qui prévaut dans l’Antiquité, des penseurs se mettent progressivement à théoriser la nécessité d’une unification sous la férule d’un souverain unique, comme remède aux guerres incessantes. L’empire naît en 221 av. J.-C. avec le Qin, mais c’est sous la dynastie suivante, celle des Han (206 av. J.-C.-220), que l’empire se stabilise et peut entamer une expansion territoriale sans précédent, principalement en direction de l’Asie centrale. Il n’y a plus de conflits entre des États chinois : l’ennemi est désormais le plus souvent (mais pas toujours) à l’extérieur. C’est le cas des Xiongnu (ancêtres des Huns), situés aux marges nord-ouest de l’empire. Aux nombreuses guerres répondent des innovations garantissant la paix, comme le système du tribut, ou les alliances entre puissances par mariages.

Au cours du IIème siècle de notre ère, le délitement des Han, lié à la résurgence de régionalismes forts et à la prise de pouvoir effective de généraux, aboutit à la célèbre mais brève période des Trois royaumes (220-266). Le phénomène démographique majeur du Moyen Âge est le déplacement massif de populations chinoises autour et au-delà du fleuve Bleu, qui entraîne un rééquilibrage géopolitique entre le Nord et le Sud au profit de ce dernier. En outre, l’implantation progressive du bouddhisme, venu d’Inde, fait prendre conscience à la Chine qu’elle ne se situe pas forcément au centre du monde.

La volonté de distinguer ce qui est interne de ce qui est externe ressort dans les constructions (villes murées et bien sûr Grande muraille). Tout au long de l’histoire, ces fractionnements de l’espace sont sources de conflits, mais également d’échanges, diplomatiques, marchands et artistiques féconds (les Routes de la Soie). Jusqu’à l’époque moderne, le monde chinois connaît une géopolitique essentiellement continentale. Durant le Moyen Âge des expéditions sillonnent les mers, de la Mandchourie jusqu’au Cambodge actuel, en passant par les îles Ryukyu. Pourtant, ce n’est réellement qu’à partir du XIIème siècle que la Chine devient une puissance maritime : un amiral des Ming (1368-1644), le célèbre Zheng He, mènera de nombreuses campagnes, de Java jusqu’à la corne de l’Afrique.

Au cours de la dernière dynastie sino-mandchoue des Qing (1644-1911), la Chine étend ses frontières (qui sont peu ou prou celles de la République populaire de Chine) jusqu’au Tibet et au Turkestan dans le Grand Ouest, évolue sur le chemin de la modernisation, avant de s’affaiblir durablement : les guerres de l’Opium et les traités humiliants du XIXème siècle ouvrent les ports chinois aux puissances étrangères, tandis que les révoltes internes entraînent la chute inexorable de l’empire.

Au XXème siècle, une guerre contre le Japon dans les années 30, puis une guerre civile entre nationalistes et communistes aboutissent au repli des premiers à Taiwan et à la proclamation de la République populaire de Chine en 1949. Cette dernière suit sa propre voie après avoir commencé par suivre le modèle soviétique. Son influence régionale, nourrie d’échanges économiques et de tensions diplomatiques avec ses voisins, ne fait que croître depuis la fin des années 1970. Des conflits maritimes passés et présents pour la maîtrise des îles Ryukyu et Senkaku à la question tibétaine que l’on pourrait faire remonter à l’Antiquité, en passant par l’intérêt pour le Turkestan chinois qui date des Han, l’histoire continue d’influencer la manière dont le champ politique chinois investit l’espace, afin de s’en assurer le contrôle.

Si Kant a souhaité connaître le monde sans quitter Königsberg, et si Phileas Fogg a tourné autour du monde sans réellement sortir de sa cabine, il faut aller en Chine, évidemment, pour apprécier de ses propres yeux les effets du passé chinois sur le présent : voir l’armée en terre cuite du Premier empereur, se balader dans la Chine des confins tibétains, mongols et turcs, pour comprendre les conséquences d’une géopolitique chinoise au long cours, mais encore mesurer la modernité galopante et incontrôlable de Pékin et Shanghai, les influences éparpillées de la colonisation européenne dans certains quartiers de Canton et de Hong Kong, et apprécier les contrastes qu’offrent les régions méridionales des minorités tibéto-birmanes, traditionnellement peu sinisées… Enfin, les influences chinoises peuvent se ressentir à l’extérieur, comme en Corée du Sud, où perdurent culture confucéenne et joutes poétiques chinoises du Moyen Âge.



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